Lignes En Italique Par Rimbaud

par Yves Jaques

 

PHRASES

 

Quand le monde sera réduit

en un seul bois noir pour nos quatre yeux étonnés,

en une plage pour deux enfants fidèles,

en une maison musicale pour notre claire sympathie,

je vous trouverai.

 

Qu’il n’y ait ici-bas qu’un vieillard seul,

calme et beau,

entouré d’un "luxe inouï",

et je suis à vos genoux.

 

Que j’aie réalisé tous vos souvenirs,

que je sois celle qui sait vous garrotter,

je vous étoufferai.

 

* * *

 

Quand nous sommes très forts, qui recule?

très gais, qui tombe de ridicule?

Quand nous sommes très méchants, que ferait-on de nous?

Parez-vous, dansez, riez.

Je ne pourrai jamais envoyer l’Amour par la fenêtre.

 

"Quand le monde est réduit en un simple bois noir,"dit-elle.

Et de petits animaux font des bruits de nids dans les branches. Les arbres penchent comme de l'herbe, craquant et balançant avec le vent. Une lune nouvelle pour sommeil sans rêve. Orion met une flèche dans la coche.

Un homme et une femme. Une forêt. Un arbre. Des drapeaux d'arpentage orange pendent des branches. Un foyer rempli de canettes Budweiser brûlées. L'homme aperçoit la souche d'une branche cassée et la saisit, montant ou l'écorce a été pelée par des mains oubliées, couteaux rouillés, une explosion de peau brune autour de chaque initiale. Et le signe plus. Et le signe égal. Et le mot "amour".

La femme étend ses bras autour de l'arbre et tire. Elle est forte. Il mouve et ploye, son tronc chatoyant dans la nuit, ses feuilles craquant comme un cerf-volant de Mylar. L'homme se perche sur la branche, un singe confortable et sale. Une branche plus haute, une pomme pend par sa tige, enceinte et brillante. Il tâte pour sa côte manquante. En l'observant, la femme se touche avec des doigts surpris.

L'homme dit,"Pour nos quatre yeux étonnés," et dégringole vers le centre de sa contemplation. Les arbres murmurent et s'assemblent, le balayant au sol de la forêt. L'homme et la femme se regardent fixement.

"Je vois la paille dans vos yeux," dit-elle, "et la poutre dans les miens."

Il dit, "Je vois un oreiller pour reposer ma tête."

Et il place sa tête sur son flanc, l'air s'échappant de lui d'un seul coup. Un animal solitaire braie comme les petites choses s'assemblent dans leurs nids. Les arbres chatoyent, la pomme tremble.

Mains dans sa chevelure épaisse, la femme dit, "En une plage pour deux enfants fidèles," et il y a le son des brisants embrassant les rochers, ses pieds enfouis dans le sable sifflant. Sa tête sur son flanc. L'arbre dans la distance. Un tricycle rouillé, dans l'eau à la hauteur de la roue.

La femme le quitte alors, tirée par le mouvement de la mer. Des oiseaux se laissent tomber aux sommets des vagues. Des crabes moroses sabordent au bord de la mer. Elle au bord de la mer aussi, observant le soleil bas et ses rayons sur l'eau. Sonnant le klaxon du tricycle elle baisse son ventre dans l'eau. Elle flotte pieds en avant dans l'écume bouillonante, la mer la suçant comme des cochonnets sucent une truie.

L'homme est debout maintenant, une figue dans la bouche et queue en main, pissant des flaques de marées jaunes dans le sable. Il dessine une image, ou écrit un nom. Il y a du sable dans sa fente, dans sa barbe, dans son sourire.

Il hurle au-dessus du ressac fracassant, "En une maison musicale pour notre claire sympathie."

Les parois étreignent le ciel; rayon du ciel du soir les illumine. Se baissant au bord de la rivière, l'homme fait une sélection attentive, et ricoche un caillou plat sur l'eau. Il compte ses tracés un deux trois quatre, et il résonne contre les cailloux lisses de l'autre côté. Un son morose résonne. Une boîte de conserve empoche le trésor. Des chauve-souris chantent et battent leurs ailes depuis les grottes au-dessus comme l'homme s'assied au faîte d'un rocher, battant sa poitrine en baril. Ses poings sont empourprés. Ses ongles sont blancs. Les chauve-souris tournent et perdent leurs dimensions, leurs ailes étreignant le ciel. Le soleil s'accroupit dans les nuages, faisant des ombres sur la pleine lune croissante. L'homme ricoche un autre caillou.

Soulevant un débris de bois, une branche écorcée dans chaque bras, la femme frappe la bouche d'une caverne trouée dans la paroi du canyon. Une note s'épluche. Et une autre, elle maintenant battant le trou en rythme avec l'homme avidement ricochant des cailloux. Et le vent descend roucoulant à travers le canyon.

"Je t'assaisonne avec du sel," dit-elle. "Je le lèche de ta peau."

Un caillou est pulvérisé dans la main de l'homme, sa poussière amblant à travers ses doigts, ruisselant dans le vent, aveuglant leurs yeux. Il tâte pour sa côte manquante. En l'observant, la femme se touche avec des doigts surpris.

"Qu'il n'y ait ici-bas qu'un vieillard seul, calme et beau, entouré d'un luxe inoui," dit-elle, doigts posés sur sa poitrine. Un serpent mocassin descend la rivière, regardant au delà de son cours.

"Je vous trouverai," dit le serpent, et glisse ses petites jambes affairées sur les rochers mouillés. Une grosseur vers son anus glisse lentement en avant. La pomme, sa tige usée et rongée, tombe de la bouche du serpent mocassin. L'homme et la femme sont bronzés. Ils sont souriants. Leurs dents sont droites. Riant, la femme ramasse la pomme et l'apporte à sa bouche; ses dents brèchent la peau. Elle arrache un morceau, et tend le fruit à l'homme. Il remarque son ventre enflé comme il avale une bouchée.

Tombant à terre, s'évanouissant dans la poussière, la femme commence à avorter; un flot de caillots coule sur les rochers. Elle montre à l'homme un caillou ensanglanté. Il frotte sa barbe avec sa main. Le bourdonnement d'une machine à laver, et le tapement assourdissant d'une perforatrice peuvent être entendus au loin. L'homme prend le caillou trempé. Il coupe ses boucles avec, et le lance dans la rivière.

"Et je suis à vos genoux," dit il. "Que j'aie réalisé tous vos souvenirs."

Une plaine s'ouvre autour d'eux, des tiges de maîs de Con-Agra se pliant dans le vent. Un soleil de Mid-Ouest douche le pays plat. La femme pèle l'épi, frotte la soie de la chair. Elle tend l'épi à l'homme. Il commence à manger distraitement, comme une vache rumine.

Enveloppant ses bras autour de sa taille et et l'embrassant superficiellement, elle dit, "Que je sois celle qui sait vous garrotter." Les tiges s'écartent dans le vent. Un brillant tracteur John Deere vert et jaune ronronne, ses pneus pressant la terre. L'homme monte. Fixant durement, il allume une cigarette , met plein gaz et engage le moteur. Le tracteur décolle, coupe une piste à travers le champ plein d'azote. Faisant signe délicatement, la femme marche à grands pas à travers les rangées de maîs coupé fraîchement, jusqu'à une ferme propre construite de planches.

Il y a une barrière à piquets. Un pommier stérile se dresse dans la cour. Des initiales sont gravées dans le tronc. Un tricycle rouillé est accroupi à sa base. Un chien braie à la porte de derrière, grattant pour être admis. Et l'homme se tient debout avec le chien, braillant des mots à travers la fenêtre.

"Je vous étoufferai." elle le voit dire.

Et elle ouvre la porte pour les laisser entrer, le chien bondissant devant elle et en haut les escaliers. Les mains de l'homme s'avancent pour former un cercle imparfait autour de son cou.

"Quand nous sommes très forts," dit-il, "qui recule?". La femme aggripe ses parties génitales d'une main forte de fermière. Le caresse, dit, "très gais, qui tombe de ridicule? Quand nous sommes très méchants, que ferait-on de nous?" Il laisse tomber sa main à son coté. Elle le voit de nouveau tâter pour la côte manquante, et elle met la main dans sa poitrine avec des doigts surpris. Un mouvement et une côte luit blanche et humide dans sa main. Elle la casse comme un os de voeux, et lui tend la moitié. Il la prend lentement, comme un avaleur d'épée, de petites briques d'os écumeux sur ses lèvres.

Le chien se glisse en bas des escaliers. "Parez-vous" dit-il, et l'homme et la femme veillent à le maquiller de rouge sur ses flancs fraîchement rasés.

"Dansez,"dit le chien, et l'homme et la femme voient le chien se lever et se balancer sur ses jambes de derrière. Le serpent ondule à travers la porte ouverte, le ventre tendu sur ses jambes rudimentaires.

Il se lève, disant, "Parez-vous, dansez, riez."

Le chien et le serpent commencent à valser autour de l'homme et de la femme. Ils sont de bons danseurs. La main de l'homme descend du cou de la femme à sa taille, et ils commencent à se mouvoir en une imitation maladroite de la grâce animale.

Autour de la ferme maintenant pourrie et dilapidée les quatre dansent, pieds et queue se fracassant à travers le plancher usé, sautant de poutre à poutre. Des arbrisseaux poussent cherchant le ciel à travers les trous fraîs, comme des rongeurs frénétiques et des oiseaux battant des ailes prennent possession des nouvelles branches. Le chien extrait un bout cassé de rouge à lèvres de son oreille et griffonne sur les parois jaunies, "Je ne pourrai jamais envoyer l'Amour par la fenêtre."

Et une nouvelle lune flotte invisible dans le crépuscule. Et un six-pack se serre dans le foyer. Orion baisse son arc, et son carquois. Et ils dansent.

 

Yves Jaques yjaques@tiscalinet.it